À l’occasion des dix ans du statut de l’auto-entrepreneur, né avec l’entrée en vigueur de la Loi de modernisation de l’économie le 1er janvier 2019, notre sympathisant Sacha Benhamou fait le bilan de ce véritable big bang pour le modèle social français, à travers trois interviews.
Aujourd’hui, première interview avec Aurélien Sallé, membre et soutien de notre think-tank, à l’époque conseiller spécial d’Hervé Novelli, Secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur.
Sacha Benhamou : Le statut d’autoentrepreneur a été créé en 2008 alors que vous étiez conseiller spécial du Secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur Hervé Novelli. La création de ce statut figurait à l’article 1 de la Loi de Modernisation de l’Économie (LME). Est-ce que c’était symbolique ? Que signifiait pour vous cette mesure ?
Aurélien Sallé : Le fait que la création de ce statut figurait à l’article 1 de la LME était très important pour nous et Christine Lagarde, alors ministre de l’économie. Pour le symbole, elle a été votée la nuit du 4 août (nuit de l’abolition des privilèges). Mais pour nous, elle était bien plus qu’un symbole. C’était une véritable révolution. Une des rares réformes en France depuis des décennies qui accordait autant de liberté aux individus, une réforme qui leur donnait la maîtrise de leur destin et exprimait la confiance du législateur dans les citoyens. Cette réforme a permis de montrer aux entrepreneurs que le fruit de leur travail était réellement pour eux. On était le pendant entrepreneurial du « travailler plus pour gagner plus ».
Pour le symbole, la loi a été votée la nuit du 4 août (nuit de l’abolition des privilèges). Mais pour nous, elle était bien plus qu’un symbole. C’était une véritable révolution.
Aujourd’hui, je continue à me battre sur le terme autoentrepreneur, qui mettait en exergue l’autonomie et l’émancipation, contre le terme très dévalorisant de micro-entrepreneur, qui renvoie à un statut de « microbe de l’économie ». Il faut en finir avec la méfiance vis-à-vis de l’entrepreneuriat : tous les entrepreneurs ne veulent pas devenir le prochain Mark Zuckerberg, mais simplement vivre dignement de leur travail, de manière indépendante, sans dépendre de qui que ce soit. La clé, c’est de leur faire confiance. Malheureusement, on est dans un système où il se passe l’inverse puisque ce sont les politiques qui demandent qu’on leur fasse confiance, alors que cette confiance est aujourd’hui très abîmée.
Aujourd’hui, je continue à me battre sur le terme autoentrepreneur, qui mettait en exergue l’autonomie et l’émancipation, contre le terme très dévalorisant de micro-entrepreneur, qui renvoie à un statut de « microbe de l’économie ».
S.B. : Vous avez rencontré des résistances ?
A.S. : Cette réforme a été préparée sous les radars, ce qui nous a permis d’aller jusqu’au bout. Toutefois, la première résistance qui a été rencontrée, comme pour toute réforme, c’était celle de l’administration de Bercy, qui nous disait que c’était impossible. C’était la première fois qu’on faisait travailler les services des impôts avec la Sécurité Sociale, pour créer le prélèvement forfaitaire libératoire. Ça parait fou aujourd’hui mais ce n’était pas évident à l’époque. Au-delà de la loi, il fallait créer les mécanismes pour que ça fonctionne : des démarches simples et compréhensibles, par internet. La seconde résistance a été celle des corps intermédiaires, dont les organisations d’artisans qui sont pourtant à la genèse de ce système. Hervé Novelli, à son arrivée au ministère, avait créé plusieurs groupes de réflexion sur le sujet, dont un avec des artisans dont les résultats allaient dans ce sens. Mais, ensuite, ils ont eu peur de la concurrence que cela allait générer dans le bâtiment, et ils ont voulu s’y attaquer sous le mandat de François Hollande. Sylvia Pinel envisageait de diviser les seuils par deux, ce qui aurait complètement dévitaliser le statut.
La première résistance qui a été rencontrée, comme pour toute réforme, c’était celle de l’administration de Bercy qui nous disait que c’était impossible.
On a pu sortir du conflit grâce à une mission menée par le député Laurent Grandguillaume, qui a pu concilier toutes les parties, moyennant l’imposition d’un stage de formation qui va être supprimé par la loi PACTE.
S.B. : Avec le recul, auriez-vous créé ce statut autrement ? Quelles pistes d’améliorations pour ce dispositif ?
A.S. : Il faut prendre en considération les changements qui ont lieu dans le monde du travail. Aujourd’hui, nous avons 5 millions de chômeurs. Il faut les aider à se prendre en main, en simplifiant encore la création d’activité, en créant un statut unique de l’entreprise individuelle avec 2 régimes : un forfaitaire (comme l’AE) et un au réél.
La plupart des entrepreneurs individuels n’ont pas de revenus linéaires, or, aujourd’hui, ils payent des charges même s’ils n’arrivent pas à se payer. Ce n’est plus possible. Les taxes doivent être connues d’avance et ne s’appliquer qu’aux revenus tirés de l’activité.
Pour débuter son activité ou créer une activité secondaire, un régime forfaitaire avec une flat-tax fiscalo-sociale libératoire sur le chiffre d’affaires. Pour de plus grosses activités individuelles, un régime au réel, où l’on ne payerait des charges que sur les revenus réellement tirés de l’activité et non du chiffre d’affaires généré. La plupart des entrepreneurs individuels n’ont pas de revenus linéaires, or, aujourd’hui, ils payent des charges même s’ils n’arrivent pas à se payer. Ce n’est plus possible. Les taxes doivent être connues d’avance et ne s’appliquer qu’aux revenus tirés de l’activité. Nos sociétés sont basées sur le service. 85% des entreprises n’ont pas de salariés alors que notre législation est uniquement pensée pour les salariés des grandes firmes multinationales. Plutôt qu’intégrer les indépendants à l’URSSAF et leur proposer une fausse assurance chômage, il faudrait créer des fonds d’indemnisation pour perte d’activité qui seraient financés par les entreprises qui font travailler des indépendants. Je suis hostile aux requalifications des contrats des indépendants avec les plateformes en contrats de travail : ils doivent pouvoir garder leur indépendance, mais ces entreprises doivent contribuer au financement de leur filet de sécurité.
S.B. : Certains dénoncent aujourd’hui des dérives avec certaines plateformes, qui exploitent la zone grise entre travail indépendant et salariat, par exemple avec des systèmes d’astreintes qui font varier les revenus perçus. Quelle réponse faut-il y apporter ?
Il faut accepter que, d’ici 10 ans, il y aura surement 30% d’indépendants, et il faut accompagner ce changement.
Il faut arrêter de se cacher derrière son petit doigt et ne pas essayer de lutter contre la marche du monde. Personne n’arrêtera la « plateformisation » de l’économie qui permet, malgré la précarité du travail, de créer de l’activité qui ne peut exister que dans ce modèle. Si on requalifiait tous les contrats d’Uber, la plateforme fermerait, et ça ne résoudrait absolument pas le problème du chômage en France. Aujourd’hui, la priorité est de développer le travail, pas de s’arc-bouter sur les règles d’un monde qui n’existe plus, celui des usines à la chaîne et des fonderies.
Si on requalifiait tous les contrats d’Uber, la plateforme fermerait, et ça ne résoudrait absolument pas le problème du chômage en France.
Donc, l’enjeu est de mettre en place des systèmes vertueux de protection. C’est l’idée que j’évoquais précédemment avec la constitution de fonds d’indemnisation pour perte d’activité. Il ne faut pas voir les plateformes comme l’alpha et l’omega, mais on ne peut pas fermer les yeux sur le fait qu’elles créent une activité économique bien réelle, nécessaire en France. Il faut accepter que, d’ici 10 ans, il y aura surement 30% d’indépendants, et il faut accompagner ce changement.
S.B. : Est-ce que ce statut pourrait être un moyen, pour les pays en voie de développement, de sortir d’une économie largement extralégale, principal frein au développement d’après l’économiste péruvien Hernando de Soto ?
Oui. Le Maroc l’a mis en place récemment. Mais aussitôt le régime lancé, ils n’ont pas résisté au lobbying des nombreuses corporations, comme on l’avait fait en France. Immédiatement, tout un tas d’exceptions ont été introduites, ce qui a tué dans l’œuf la réforme. Pourtant, ce régime est une vraie solution en faveur de l’émancipation des « masses laborieuses ». Plus de 50% des Africains ont moins de 25 ans. Si des systèmes massifs d’individualisation du travail ne sont pas mis en place, la situation sera de plus en plus explosive pour l’Afrique et pour l’Europe.
Si des systèmes massifs d’individualisation du travail ne sont pas mis en place, la situation sera de plus en plus explosive pour l’Afrique et pour l’Europe.
Par ailleurs, pour rebondir sur le sujet de l’exportation de ce statut, j’aimerais ajouter que créer un régime européen unique de l’indépendant permettrait de réaliser une première harmonisation socialo-fiscale européenne au profit des peuples, du travail et du pouvoir d’achat. Les institutions européennes cherchent des politiques concrètes pour les gens, en voilà une puissante. De plus, cela permettrait largement de résoudre le débat sur les travailleurs détachés. La France n’aurait que des avantages à pousser ce type de dispositif au niveau européen. Gageons que certains puissent le proposer à la faveur des prochaines élections.
Propos recueillis par Sacha Benhamou, senior advisor pour le mouvement Les Affranchis – Students for Liberty en France, à découvrir ICI.
Pour lire notre rapport « Travailler demain », signé Emmanuelle Barbara, cliquer ICI.
Pour lire notre rapport « Vers l’auto entrepreneur européen ? », cliquer ICI.