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Coup d’oeil sur « L’Obsession égalitaire » (2023) d’Erwan Le Noan

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Marin Vuillefroy de Silly

Chargé de mission chez GenerationLibre

Coup d’oeil sur « L’Obsession égalitaire » (2023) d’Erwan Le Noan

Dans son ouvrage L’Obsession égalitaire : comment la lutte contre les inégalités produit de l’injustice publié en 2023, Erwan Le Noan, consultant et essayiste pour L’Opinion, (qui a publié un rapport pour GL) constate deux paradoxes. Le premier réside dans la domination des discours anti-capitalistes et égalitaires malgré l’enrichissement croissant de notre société depuis plus de deux siècles et une diminution des inégalités. Le second correspond au délitement des services publics de la France au regard de l’abondance de moyens dont ils bénéficient.

 

En réponse à une idéologie anti-capitaliste dominante et porteuse d’inefficacité économique, d’iniquité sociale et de déceptions, l’auteur livre un plaidoyer pour la liberté des individus, le mérite et le marché. Il affirme que notre « obsession égalitaire » est avant tout la conséquence d’une confusion permanente entre inégalité et injustice, entre égalité et uniformité. 

 

Inspiré notamment par Tocqueville, Aron et Hayek dont il réalise l’exégèse, cet essai tend à démontrer que l’économie de marché fut, dans notre histoire, le parfait outil pour lutter contre les inégalités (I). Il révèle également que nos problèmes sociaux et économiques trouvent avant tout leur origine dans notre obsession égalitaire (II). Dès lors, plusieurs pistes sont explorées afin de lutter contre les injustices, toutes guidées par l’amour de la liberté (III). 

 

I- Le mythe des inégalités

 

Dans une première partie intitulée « Le mythe des inégalités », Erwan Le Noan revient sur les origines du concept d’égalité. Dès le XVIIème siècle, Hobbes pose le principe de l’égalité de nature des hommes. Un siècle plus tard, Jean-Jacques Rousseau affirme que l’inégalité découle de la propriété puis, au XIXème siècle, Tocqueville consacre l’égalité des droits et l’égalisation des conditions comme un des socles de la démocratie.

 

Par la suite, le combat pour l’égalité des droits fut porté par la révolution américaine puis française. De ce mouvement est né l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirmant : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. ».

 

« 1789 pose les bases d’une conception majeure de notre modernité : aucun individu n’a de droit supérieur aux autres. » – Erwan Le Noan dans L’Obsession égalitaire

 

La dimension politique, juridique et sociale de l’égalité prend une grande ampleur avec la révolution industrielle. Ce contexte est le point de bascule vers l’obsession égalitaire incarnée par un projet marxiste arbitraire, liberticide, violent et anti-démocratique.

 

Aussi, Erwan Le Noan constate un paradoxe : plus les inégalités diminuent plus elles deviennent insupportables. Pour autant, deux critères tels que définis par le philosophe John Rawls rendent « acceptables » les inégalités : l’égalité des chances et le principe de différence, à savoir l’équité.

 

En réponse aux discours anti-riches, l’auteur affirme que le capitalisme fut un remède à la pauvreté (notamment grâce au phénomène de la mondialisation). Chiffres à l’appui, il développe plusieurs arguments pour étayer son éloge du capitalisme :

 

– alors que la société pré-capitaliste fut marquée par la pauvreté (du XVème au XVII siècle, la pauvreté touchait 50% à 70% foyers citadins), le capitalisme a contribué, grâce au développement du progrès technique et de l’innovation, à l’accroissement des richesses et du niveau de vie (le revenu annuel moyen par habitant a été multiplié par 30) ainsi qu’à la baisse de la pauvreté et de l’inégalité (en 1980, 42,7 % de la population mondiale est pauvre contre 9,2 % en 2017) ;

– en France, malgré les 9,3 millions de personnes vivent en deçà du seuil de pauvreté, la France apparaît comme le pays dont le taux de pauvreté relatif est le plus faible. Ce taux est de 13 % lorsqu’il est de 16% en Allemagne, de 17% au Royaume-Uni et de 20 % en Italie ;

– aussi, on constate une nette amélioration de l’éducation avec une diminution drastique de l’illettrisme et de l’espérance de vie ;

 

« Les citoyens ont l’impression que des miracles peuvent se produire à l’issue d’une élection qui n’est en rien divine, ce qui ne peut susciter des déconvenues. Tout dans notre conception du politique, pousse à une déception continue et inévitable. » – Erwan Le Noan dans L’Obsession égalitaire

 

– enfin, notre expert affirme que la France n’est pas inégalitaire. Il en veut pour preuve le coefficient de Gini qui mesure le niveau d’égalité. Ce coefficient est un nombre variant de 0 à 1 (0 signifiant l’égalité parfaite). En 2019, celui de la France est de 0,29 lorsque celui de l’Italie est de 0,33, celui du Royaume Uni est de 0,37, et celui des Etats-Unis est de 0,40.

 

Depuis le début du XXème siècle, les Français se sont donc enrichis. La diminution des inégalités trouve en partie son origine dans la redistribution. En effet, l’impôt sur le revenu représente un tiers de la diminution des inégalités.

 

II- Les méfaits de la lutte contre les inégalités.

 

Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur de l’essai dresse la liste des dégâts provoqués par la lutte contre les inégalités.

 

Il déplore en premier lieu l’objectif de la politique actuelle qui consiste à garantir une égalité des places et non une égalité des chances.

 

Aussi, malgré la générosité de la politique sociale française (en 2020, 4,5 millions d’allocations ont été versées pour 11% de la population, soit un coût de 30 milliards d’euros), le système des aides s’est montré terriblement complexe. Pour y remédier, l’auteur juge « stimulante » l’idée d’un revenu universel pour laquelle GenerationLibre se bat depuis sa fondation. (Voir les rapports de notre expert Marc de Basquiat et de notre fondateur Gaspard Koenig « Liber, un revenu pour tous » et « Liber, une proposition réaliste« .)

 

En outre, Erwan Le Noan démontre que le discours égalitariste est marqué par une logique malthusienne qui conduit à une société de la restriction, de la pénurie et du refus du progrès. Cantonné à la gestion de cette pénurie, l’État devient impuissant dans son rôle d’accompagnement social. Ainsi, deux effets du malthusianisme redistributif sont à dégager : d’une part une généralisation du contrôle social et d’autre part une rigidification de la société.

 

La lutte contre les inégalités est également marquée par une redistribution arbitraire et autoritaire. Il faut veiller à ce que le niveau des prélèvements ne provoque pas une baisse de l’incitation à produire comme la courbe de Laffer nous l’enseigne. En France, ce niveau de prélèvements est élevé dans l’objectif de financer l’obésité des dépenses publiques. Ce cercle vicieux conduit à une extension continue de la puissance publique et à un interventionnisme, toujours plus intrusif de l’administration fiscale.

 

« L’obsession égalitaire a figé la France et étouffé l’esprit de justice. Un comble. » – Erwan Le Noan dans L’Obsession égalitaire

 

Parmi les effets indésirables de l’idéologie égalitaire, il y a aussi celui d’une demande paradoxale de davantage d’égalité et de redistribution. Cette demande ne peut qu’aboutir à la déception et à la colère des citoyens, et alimenter les populismes. Cela est aggravé par notre culte de la volonté générale et notre quête d’un chef providentiel dont l’élection concentre les espoirs en un miracle qui ne peut advenir (Voilà pourquoi GenerationLibre propose de déprésidentialiser la Vème République !).

 

En matière d’éducation, il apparaît que l’égalité est une illusion et que l’école, en tant que moteur de la méritocratie, ne remplit pas son rôle.  Aujourd’hui, les enfants gagnent moins que leurs parents, notamment en raison d’un affaiblissement de la croissance économique. Si, d’après l’OCDE, la France ne souffre pas d’un manque de redistribution et d’une inégalité de chances, la France reste toutefois un pays avec un fort déterminisme social qui se manifeste dès l’école : 68 % des enfants de parents diplômés du supérieur obtiennent le même niveau d’études. Ainsi, au regard de la rigidité du marché du travail, l’accès à celui-ci est privilégié pour les diplômés issus eux-mêmes de familles de diplômés (les disparités territoriales sont également déterminantes). Ce mécanisme de sélection implique donc une compétition féroce dès l’école, puis dans la suite du parcours éducatif (collège et lycée) et universitaire.

 

De plus, la baisse de l’attractivité du système éducatif et universitaire français que Jean Tirole qualifie de « délit d’initié » a eu pour effet d’encourager les familles et leurs enfants à quitter la France. En 2012, 14 % des étudiants de l’école alsacienne sont partis étudier à l’étranger. Ce chiffre s’élève à 36 % en 2020. On constate également une multiplication par deux des départs de bacheliers pour le Québec. Ce système français, devenu homogène et égalitariste, a mené en 2022, plus d’un million de jeunes à n’être ni en emploi, ni en formation, ni en études. Pour répondre à l’échec de l’école présenté par l’essayiste, GenerationLibre défend l’idée d’une autonomie réaliste pour les établissements scolaires publics (autonomie de gestion, financière et pédagogique), qui permettrait de donner une réalité à l’ambition d’égalité. Ces établissements autonomes seraient liés à l’État par un contrat d’objectifs et de gestion, conclu entre les autorités publiques et les responsables de l’établissement scolaire.

 

« La mondialisation a crée tellement de richesses dans le monde entier qu’elle a permis à des habitants toujours plus nombreux d’être toujours plus riches. » – Erwan Le Noan dans L’Obsession égalitaire

 

De surcroît, l’auteur constate un esprit anti-système et une méfiance qui reposerait sur un sentiment partagé d’inaccessibilité des voies de la réussite. En 2005, Miguel Angeletos et Alberto Alesini mettaient en lumière l’idée selon laquelle une telle défiance justifiait un plus fort recours aux politiques fiscales et de régulation. Cette question se pose dans une bien moindre mesure aux États-Unis, dont l’équité du système recueille la confiance des américains. Jean Tirole et Roland Benhamou tirent la même conclusion : les Américains ont une croyance dans un monde juste alors que les Européens sont par nature pessimistes. En France, le poison de la défiance et de la lassitude s’étend jusqu’aux institutions et aux responsables politiques.

 

Enfin, parmi les méfaits de la lutte contre les inégalités se trouve le refus de la diversité et de l’incertitude, qui sont pourtant au fondement de la vie humaine comme en témoignent les récentes crises (guerre en Ukraine, pandémie). Erwan Le Noan considère que la seule solution pour répondre à l’imprévisibilité et la complexité est le marché en ce qu’il permet de coordonner la pluralité des comportements et de parvenir à un meilleur état de la connaissance du monde.

 

III- Un vrai combat : lutter contre les injustices

 

Dans cette dernière partie, Erwan Le Noan affirme que les inégalités ont une fonction d’incitation : elles stimulent l’ambition, la créativité et poussent les individus à se dépasser.

 

Aussi, alors que le nombre de milliardaires dans le monde diminue (87 milliardaires en moins par rapport à 2021), l’essayiste réfute la diatribe ambiante contre les riches. Selon lui, la fortune est le résultat d’une réussite. Certains font fructifier l’héritage familial. D’autres sont de véritables innovateurs et des autodidactes. C’est le cas pour les 400 plus grosses fortunes mondiales.

 

« Le marxisme n’est jamais parvenu à améliorer le sort des individus. » – Erwan Le Noan dans L’Obsession égalitaire

 

En outre, s’ils amassent de grandes fortunes, les riches sont aussi de grands contributeurs pour la société, que ce soit pour leurs innovations ou pour leur participation importante à l’impôt. En France, 16,2 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés sont payés par les 287 plus grandes entreprises qui ont contribué à la création de plus de 4 millions d’emplois. De plus, 0,2 % de ceux qui payent la tranche la plus haute de l’impôt sur le revenu financent 13,7 % des recettes de l’impôt sur le revenu et 1,3 % des plus hauts revenus financent 33,9 % de l’impôt sur le revenu. Aussi, les riches contribuent largement à l’action sociale et culturelle (charité, financements de musées, les dons etc.)

 

De surcroît, Erwan Le Noan rappelle la théorie de la séparation de l’État et de l’entreprise de Milton Friedman. En effet, d’après l’économiste, la recherche du profit est un mécanisme incitatif qui sert les intérêts de tous pour le bien-être social.

 

Notre expert considère que l’enjeu réside avant tout dans la lutte contre la pauvreté et non contre les riches. Quant à la redistribution, celle-ci ne doit pas devenir une obsession punitive. Aujourd’hui, le principe du consentement à l’impôt est étouffé et en réponse à cette logique descendante et unilatérale de l’impôt, il faut promouvoir l’introduction d’une forme de volontariat sur le modèle de la contribution patriotique de 1789. Cela se déclinerait de trois manières :

– la première est idéaliste : chacun serait libre de donner ce que bon lui semble ;

– la seconde permettrait un fléchage du financement en direction d’un poste budgétaire, comme par exemple éducation à la sécurité ;

– enfin, la troisième est une combinaison entre bouclier fiscal et un impôt volontaire.

 

« Faire de la lutte contre les inégalités l’alpha et l’oméga des politiques publiques est économiquement inconséquent et démocratiquement dangereux. » – Erwan Le Noan dans L‘Obsession égalitaire

 

Enfin, l’auteur de L’Obsession égalitaire plaide pour une action publique et sociale plus efficace et rationnelle. Il appelle également à réhabiliter le mérite aujourd’hui présenté comme un symbole de l’injustice, de l’élitisme, et même du racisme. Si la méritocratie légitime les inégalités, cela ne signifie pas qu’elle juge les injustices acceptables. La méritocratie croit aux chances de chacun et à une mobilité sociale ascendante. Rappelons que la méritocratie est historiquement une idée révolutionnaire qui émerge avec la philosophie des lumières et qui a mis fin à une société d’ordre. Rappelons aussi que depuis la révolution industrielle, la société libérale est basée sur la concurrence. Celle-ci a permis de remédier aux positions acquises et de servir directement les consommateurs et les plus faibles.

 


 

 

Publié le 18/04/2024.

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